Banalité et ordinarité du racisme
Vitrine de tolérance, fond de commerce xénophobe et contexte
raciste.
La vitrine étatique de la
lutte contre le racisme et les discriminations a rarement été aussi brillante.
Dans son dernier mandat Jacques Chirac a créé la HALDE (Haute Autorité de Lutte
contre les Discriminations et pour l’Egalité) pour lutter contre les
discriminations, créer du droit… Cette chatoyante devanture entretenue par le
gouvernement Sarkozy et ses effets d’annonce cache un fond de commerce (électoral)
basé sur la xénophobie et le racisme primaire. Quelle cohérence y a-t-il entre une institution comme la HALDE et un
ministère de l’immigration et de l’identité nationale sinon celle d’une
politique xénophobe enrobée d’un beau paquet anti raciste. Peut-on vraiment croire en un gouvernement
qui d’un côté condamne les discriminations individuelles et de l’autre établit
une politique stigmatisant l’étranger ? Voudrait-on nous faire croire
qu’il n’y a pas de lien entre une politique de quotas pour l’immigration et les
discriminations ou le racisme ambiant ? Souvenons nous d’un certain parti
politique qui se félicitait d’avoir réussit à convaincre les électeurs du FN. Ce
n’est pas leur idéologie qui a changée mais le programme de l’UMP qui a intégré
(ouvertement et en la mettant en avant) leur dogme. De fait ils n’ont pas été
convaincus, mais sont venus par convictions antérieures. Le racisme ordinaire est entretenu par des
politiques xénophobes, les initiatives anti discriminatoires ne sont qu’un verni
dans lequel chacun aime à se contempler en se croyant ouvert et tolérant.
Il en va de même pour ces
têtes d’affiches politiques qu’on dit de deuxième génération (Fadela Amara,
Rachida Dati…). Parler de génération d’immigré laisse entendre que l’immigration
se transmet de génération en génération. Au bout de combien de générations une
personne peut elle devenir française ? Les fabuleux cours de fabrication
du bon citoyen (éducation civique) nous apprenaient que la France était un pays
du droit du sol… Dans le droit et la loi seulement, en réalité il semble que
c’est la couleur de peau et le sang qui déterminent le degré d’accession
effective à la citoyenneté (pas seulement le droit de vote mais surtout le fait
de pouvoir être considéré comme un semblable et non de garder l’étiquète de
l’étranger). Même d’un point de vue juridique ce droit du sol s’est prit un
grand coup de Karcher. Aujourd’hui il ne suffit plus de naitre en France pour
être français. Une demande doit être faite et la nationalité ne peut être
acquise qu’à partir de 18 ans. De fait la nationalité est assimilée à la
citoyenneté, avant 18 ans, avant d’être citoyen, un enfant sur le territoire
français n’est rien. Il peut être expulsé, sans concession. Le droit du sol
n’est plus effectif, c’est un droit soumis à un devoir, un devoir de demande.
Nous ne parlerons pas ici du
regroupement familial, de l’immigration choisie, des possibilités d’accession
aux métiers, aux soins… Toute une série de lois régressives transforment une France qui se disait terre
d’asile, en asile d’enfermement, d’assimilation et d’expulsion. Comment avons
nous pu nous étonner dans un tel
contexte du regard que les « citoyens » « français »
portèrent sur des familles de « Rroms » la semaine dernière.
Dans le tramway.
Il ne faut pas croire que le
racisme est un invariant et qu’il s’attache toujours aux mêmes personnes. Les
étiquetages évoluent, de nouvelles « populations » deviennent le
support de stigmates. Ce racisme ordinaire (regards, mots bas, distance physique…)
est lié aux lois et à la médiatisation de la xénophobie. L’Europe a fait
apparaitre de nouvelles populations comme potentiellement dangereuses. Ce sont
par exemple ces gens de l’Est, qui travaillent à n’importe quel prix, qui sont
sans fois ni loi, qui ont des mœurs étranges, ce sont ceux que l’on appelle
« Rom ». Ces horribles gitans du XXIème siècle, remplaçant
les tziganes qui certes sont considérés comme d’invétérables voleurs (et
« violeurs » ?) mais qui jouent de la guitare, font des feux de
camps ; qui portent sur eux un parfum de liberté, plaisant à tout bon
Bourgeois Bohème qui se respecte. Ces nouveaux gitans du XXIème
siècle eux ne jouent pas de la guitare, ne vivent pas dans des caravanes tirées
par des chevaux et ne font pas des feux de camps à Sainte Marie de la Mer pour
prier la vierge Marie. Tout un imaginaire se développe sur ces personnes aux
mœurs étranges.
Alors voila, un matin nous
prenons le tram d’humeur guillerette et nous trouvons nez à nez avec ces Roms.
Au grand damne des colons nostalgiques, l’apartheid assumé n’existe pas en
France et « ces gens » ont le droit de voyager dans le même wagon que
les bienveillants citoyens français. Horrible proximité physique dont chacun
essaye de se défaire en plaçant une distance sociale.
Regards de biais, mots bas,
changements de place, tant de petits gestes discrets et anodins qui inscrivent
une distance énorme entre « eux » et « nous ».
« Pourquoi parlent ils si fort ? », « Tu as vu comme ils
prennent leur enfant, ils vont lui faire mal… à un enfant quand
même ! », « c’est des familles nombreuses hein ? »…
Certes ces « personnes » (qualité qu’on leur refuse, ce sont des
étrangers, des Roms, ce sont tous les mêmes) n’ont pas les mêmes manières de
faire que nous, mais elles n’en sont pas moins dénuées d’humanité. Prendre un
enfant dans ses bras, le soulever dans les airs, le serrer contre soi, le
taquiner… est ce vraiment le violenter. Oui leurs enfants ne sont pas dans des
cocons, pas dans des poussettes avec roues tout terrain, avec capuchon pour la
pluie, renforcement antichocs du coussinet dorsal pour protéger des graviers
que la voierie aurait laissée sur le trottoir. Oui, ils osent donner des
fessées à leur enfant ! Oui ils parlent fort ! Oui ils se prennent
dans les bras pour se dire bonjour ! Est-ce pour autant plus critiquable
que la distance que nous conservons dans chacune de nos relations, de nos bises
contenues, de notre façon de parler à voie basse pour ne pas déranger notre
voisin de siège de tramway (quand quelqu’un s’assoie à côté de nous,
c'est-à-dire à la condition qu’il ne reste plus de place isolée).
Racisme ordinaire qui par
définition est anodin et devient invisible. Cette petite anecdote n’est pas la
seule preuve de cette peur de l’autre présente en chacun de nous. Une autre petite
histoire ordinaire, un petit discours, qui en dit autant que l’exemple
précédent.
« Les
expulsions d’adultes ça me dérange moyennement, mais les enfants quand
même ! »
Mercredi nous étions à un
rassemblement devant un squat
abritant vingt familles de Rroms. L’immeuble devait se faire détruire et les
familles se faire expulser du logement. Une dame passe, s’arrête devant
l’immeuble et observe le tout d’un air dubitatif. Nous commençons un dialogue
avec elle pour l’informer de la situation. Voici quelques extraits de ces
belles paroles pleines d’humanisme et de tolérance envers l’autre.
« Vous avez une petite
pétition pour que je la signe ; c’est pas grand-chose mais au moins ça
fera pour ma petite conscience ? »
« Ces enfants, je les
vois tout le temps, ils jouent tout le temps dans la rue. L’autre jour il y en
a un qui a faillit se faire écraser avec son biberon à la main. J’ai essayé de
lui parler mais forcément il ne parle pas français. Un jeune est sortit mais il
parlait pas très bien français ».
« Bon ça va ils sont
bien habillés les enfants, enfin ils ont pas froid en tout cas ».
« Ils doivent leur
donner des sédatifs à leur enfants pour qu’ils restent la journée dans les bras
de leur parents sans rien faire et sans jouer».
Un tel concentré de pensées
bienveillantes et ouvertes sur les conditions de vie de chacun se passe de
commentaires.
Stigmate,
préjugés.
En médecine, le stigmate est
une cicatrice ; dans le domaine judiciaire c’est une marque d’infamie,
dans le domaine militaire c’est une marque faite par les romains aux nouvelles
recrues. Dans tous ces cas le stigmate peut se résumer par une marque
corporelle visible distinguant l’individu des autres personnes. Le racisme
ordinaire se base sur des stigmates. Certaines personnes sont identifiées par
des marques corporelles (couleur de peau, tenue vestimentaire, manière de se
tenir et de parler). Le regard porté sur eux en devient classant. On ne va pas entrer de la même manière en relation
avec ces personnes, on va les penser
comme différentes… A cette différenciation entre « eux »
et « nous » est lié tout un ensemble de préjugés :
« les noirs ont la musique dans la peau », « les gitans sont des
voleurs », « les italiens sont machistes ». Un tel résonnement
fait que ce n’est plus la personne en elle-même qui est, mais qu’elle est et
fait car elle appartient à un groupe.
On parle de tolérance pour
des valeurs comme le respect des droits de l’homme, pour la pédagogie… mais ces
beaux concepts et préceptes sont des constructions occidentales. Il faut savoir dépasser nos préjugés sur le
comportement d’autrui, entrer en dialogue pour comprendre et ne pas rester à un
regard classant et discriminant. Ce premier pas n’est pas facile à avoir, il
faut passer par-dessus ses appréhensions, par-dessus les normes de distance
sociale, par-dessus nos préjugés, par-dessus les stigmates. Rendre l’humanité à
tous ceux qui nous entourent ce n’est pas vouloir leur appliquer notre
conception de ce qu’est un être humain ; c’est comprendre ceux qui nous entourent
dans leur propre logique et non selon notre logique qui est formatée par un
système social, politique et culturel. Jamais on ne pourra devenir quelqu’un
d’autre et le comprendre totalement. Il n’empêche que si nous ne nous fixons
pas la compréhension de l’autre comme but, si nous ne faisons pas preuve
d’ouverture, le racisme aura de belles années devant lui et les atrocités
passées et présentes pourront encore perdurer.