L’université Lyon 2, laboratoire leader de
l’industrie de la surveillance
15 janvier
2008
Généralisation
de la vidéosurveillance sur le campus de Bron, instauration de la carte Cumul
qui cumule surtout électroniquement nos activités sur la fac, grillage du
campus, existence de dossiers (complètement illégaux) sur les personnes ayant
des activités militantes… Lyon 2 n’est pas en retard dans la mise en place
d’une société de contrôle.
Mais
l’implication de Lyon 2 dans cette généralisation de la surveillance ne
s’arrête pas à ces aspects quasi-courants : dans les quelques pages qui
suivront, nous montrerons qu’elle est (ainsi que d’autres universités ou
écoles lyonnaises) au cœur des recherches et de la mise en place de nouveaux
dispositifs dans le domaine sécuritaire, dans le cadre d’une collusion entre
recherche, université et intérêts privés.
L’université
Lyon 2, laboratoire leader de l’industrie de la surveillance
Tract
diffusé à l’université Lyon 2 lors de la venue de la ministre de
l’Enseignement Supérieur et de la Recherche à Lyon 2, mardi 16 octobre,
histoire de débattre de cas concrets sur la question de la privatisation de
la fac.
A l’heure
de la loi Pécresse sur la privatisation des universités, ces quelques pages
nous semble un bon début pour discuter de la participation des étudiant(e)s à
ces projets de recherche, en tant que cobayes, main d’œuvre ou initiateurs,
et de la pertinence de liens entre nos universités et le marché du
sécuritaire.
TECHNO-VISION Du missile intelligent à la vidéosurveillance intelligente
Les projets
sécuritaires lyonnais forment un tableau qui débute au niveau national.
En janvier
2007, la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL) donnait son
accord pour la mise en œuvre de deux programmes de recherche sur la biométrie.
L’un est mené par SAGEM Défense Sécurité, industriel de l’armement et leader
mondial en matière de biométrie. Il n’en sera pas question dans ce qui suit.
L’autre, le projet IV2 « Identification par l’Iris et le Visage via
Vidéo » est un partenariat français entre les pointures de la recherche
sur les technologies de l’information : INT, INST, INRIA, EURECOM… Le
laboratoire LIRIS de l’Ecole Centrale de Lyon participe à l’aventure
scientifique, comme les sociétés THALES (aéronautique et armement) ou URATEK.
C’est ce projet IV2 que nous allons aborder dans les lignes qui suivent.
IV2 est inséré
dans un programme plus ambitieux, TECHNO-VISION, soutenu conjointement par
les ministères de la Recherche et de la Défense. Lancé en juin 2004,
TECHNO-VISION a pour thèmes de recherche « la vision pour la robotique,
la vidéo-surveillance, la biométrie, le traitement d’images aériennes et
satellites » ou encore les technologies d’archivage vidéo.
Parmi les dix
projets financés dans le cadre de TECHNO-VISION, l’un d’eux, ROBIN se
concentre par exemple sur l’imagerie terrestre et aéroportée, avec en son
sein des entreprises comme MBDA Missile System. Objectif : la détection
et la reconnaissance automatique d’objet. Les chercheureuses travaillent ici
sur les missiles à guidage vidéo ou missiles « intelligents ».
Le projet
TOPVISION s’occupe lui d’imagerie sous-marine ; divers programmes ont
pour objet la vidéo-surveillance et un dernier concerne l’imagerie médicale.
IV2 est le
projet concernant la biométrie : on s’affaire à Lyon, Paris et Toulouse
pour constituer les bases de données nécessaires aux recherches. Dans trois
des universités participantes, tout ce qui les peuple, (des étudiant(e)s au
personnel administratif en passant par les technicien(ne)s de surface) est
invité à se faire numériser par bouts : visages, iris et visages parlants.
Avec ces bases de données, le LIRIS École Centrale travaille entre autres à
en déduire des algorithmes qui permettront la reconnaissance informatique
d’un visage ou d’un iris par vidéo, tentant par là-même de mettre au point ce
qu’à l’Imperial College de Londres on affine déjà : la
vidéo-surveillance capable de reconnaître un visage, de le suivre sur bande
vidéo et de l’identifier une fois le système couplé à un fichier nominatif de
visages numérisés.
En matière
de vidéo-surveillance intelligente couplée à la biométrie, VISIONICS, l’un
des plus gros du secteur aux Etats-Unis, détient un palmarès étonnant :
le scan du visage des 72 000 spectateurs du SuperBowl ; elle a déjà
vendu cette technologie au service d’immigration des Etats-Unis (qui s’en
sert à la frontière mexicaine) et à l’armée israélienne pour qu’elle
surveille plus et mieux la bande de Gaza.
Avant de
continuer, petit rappel pour celles et ceux qui ont raté la présentation FNAC
du dernier ordinateur à sécurisation digitale :
La biométrie
La biométrie consiste à informatiser des données morphologiques (empreintes
digitales, forme de la main ou du visage, iris) et biologiques (ADN, odeur,
sang). Elle est aujourd’hui utilisée principalement pour l’identification et
les contrôles de flux d’individus. Ainsi, dans certains collèges et lycées,
la cantine est équipée de bornes scannant la main des élèves. Ou encore,
HITACHI a développé un système relié directement au compte en banque pour
régler ses achats par lecture du réseau vasculaire du doigt. Un autre exemple
concerne notre future carte d’identité, prévue initialement pour 2006 et
repoussée à 2009, qui mêlera biométrie et puces RFID (puce lisible à
distance) ; la puce contiendra nos empreintes digitales et notre photo
du visage numérisées, permettant une reconnaissance par informatique. |
Quand l’université Lyon 2 se transforme en secteur R&D de l’industrie
du sécuritaire
Au LIRIS
École Centrale de Lyon, à Ecully, il semble que l’esprit aiguisé des
chercheureuses n’ait pas résisté à l’attrait certain de ces recherches pour
le progrès humain. La concurrence avec l’Imperial College qui développe en ce
moment un nouveau concept de reconnaissance faciale pour les JO de 2012 doit
être stimulante !
Né début
2003 à la suite du regroupement de plusieurs laboratoires de recherche
lyonnais, le LIRIS, (« Laboratoire d’informatique en images et systèmes
d’information », associé au CNRS), compte environ 280 personnes (sans
compter les centaines de doctorants). Divisé en quatre tutelles, à l’INSA de
Lyon, à l’Université Claude Bernard Lyon 1, à l’Ecole Centrale de Lyon et à
l’Université Lumière Lyon 2, il se répartit sur les campus de la Doua, Ecully
et Bron.
Le LIRIS
Lyon 2 Bron, situé dans le bâtiment C au 1er étage, a cette particularité
d’être le partenaire très particulier d’une entreprise spécialisée en
vidéo-surveillance intelligente, la société FOXSTREAM.
(Sur la plaquette de présentation de son logiciel FoxVigi, Foxstream
affiche son partenariat avec le CNRS et le LIRIS.)
Cette
société base ainsi son activité commerciale sur les technologies issues des
recherches effectuées au LIRIS Lyon 2 Bron. Le travail effectué à Bron par
l’équipe du professeur Miguet sur les techniques de vidéo-surveillance
intelligente n’est pas aussi complexe que la reconnaissance des visages, mais
l’entreprise chargée « du transfert des technologies issues de la
recherche en traitement et analyse d’images effectuée au LIRIS » peut
maintenant se targuer de vendre un produit high-tech : FoxVigi.
On est loin
des dispositifs d’aide aux personnes médicalisées ou d’imagerie médicale qui
ont fait la réputation du LIRIS. Le transfert de savoir du laboratoire public
à la société privée est ici le plus simple possible : l’entreprise a
installé directement ses locaux dans le laboratoire LIRIS Lyon 2 Bron, en
plein milieu du campus.
Son patron
Jean-Baptiste Ducatez, tête de liste PS à Genas, commente : « Cette
proximité géographique avec des chercheurs reconnus internationalement dans
ce domaine est une source de richesse inépuisable pour la société Foxstream
et ses clients. » Une richesse inépuisable... FOXSTREAM À la conquête du
campus, des TCL et du ministère de l’Intérieur ?
FOXSTREAM a
commencé « petit » : depuis juin 2005, la société équipe les
caméras de l’université Lumière Lyon 2 avec son logiciel FoxVigi.
Le soutien
institutionnel répété lui permet de voir plus loin : elle est lauréate
de l’association Rhône-Alpes Entreprendre, puis labélisée NOVACITE, structure
dépendant de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon. Au niveau
national, elle se voit remettre différents prix, notamment par le
président-directeur général du groupe THALES (armement et aéronautique). Et
avec l’aide de 137 000 € d’Oséo (Oséo, « soutien à l’innovation »),
la jeune pousse lyonnaise voit grand. En janvier 2006, l’entreprise partait à
la conquête de Lyon. Le pôle industriel Lyon Urban Truck&Bus 2015, un
pôle dit de compétitivité dans le domaine des transports financé par la
région, labellisait son projet de vidéo-surveillance intelligente adapté aux
bus (poétiquement nommé Cerbère Vision), dans le programme « sécurité et
sûreté ». Le soutien des collectivités locales à cette entreprise peut
laisser présager l’implantation de ses technologies dans leurs transports en
commun. FOXSTREAM ne s’arrêtera pas là. Le 29 juin 2006, elle était invitée
par le Service des Technologies de la Sécurité Intérieure (STSI) du ministère
de l’Intérieur pour présenter son produit FOXVIGI. La perspective de contrat
est alléchante puisque le STSI participe à la définition des achats du
ministère pour les 3 années à venir. Associé au LIRIS de Bron, FOXSTREAM peut
potentiellement profiter des recherches en cours au LIRIS École Centrale sur
la reconnaissance du visage. L’industrie lyonnaise de la vidéo-surveillance
intelligente a de beaux jours devant elle… Militaro-civil, publico-privé,
plus rien ne doit nous étonner.
En ces
temps d’autonomie de l’Université, dans les locaux d’une faculté de sciences
humaines, la présence d’une entreprise à la conquête du marché du sécuritaire
est censée passer inaperçue. À Lyon donc, entre camarades
ÉtudiantE-chercheurEUSE on se biométrise dans des bases de données pour
décrocher son petit diplôme. Le transfert à l’industrie est rôdé. La fac,
mi-université mi-zone industrielle, se sert quant à elle de l’étudiantE comme
cobaye pour tester les logiciels de la société maison de vidéo-surveillance,
développée en partie par l’étudiantE. Avant que cette société n’aille
conquérir de nouveaux marchés, et que l’on se félicite de la vitalité de
l’économie locale ! La refonte de l’université et de la recherche avec
l’industrie suit donc son bonhomme de chemin. Le surf généralisé sur le
« sentiment d’insécurité » trace la voie des investissements.
Michèle
Alliot-Marie ex-ministre de la Défense, actuelle ministre de l’Intérieur
(future ministre de la Recherche ?) commenterait : « il est
plus que jamais indispensable de dépasser les frontières entre militaire et
civil pour mutualiser nos expériences et nos savoir-faire. »
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